SUPER DELTA !
Avec l'arrivée
des groupe B et de la première domination outrancière des Audi Quattro,
chaque constructeur en lice fourbit ses armes. La réglementation oblige
de produire 200 exemplaires ? Pas grave, les constructeurs n'hésiterons
pas à se lancer dans une telle fabrication, rien n'étant trop cher
pour concourir à la victoire finale. Peugeot avait donc sa 205 Turbo 16,
Ford sa RS 200 et Lancia sa Delta S4...
Texte :
Nicolas LISZEWSKI
Photos : D.R. Nous sommes alors dans la première
moitié des années 80 et le rallye bas son plein. Audi
a frappé très fort avec ses Audi
Quattro et raffle les victoires sur tous les terrains. Face à ces nouvelles
venues dotées d'une technologie évoluée (quatre roues motrices,
moteur turbocompressé...), les anciennes gloires du passé ne peuvent
que ramasser les miettes. Certes, les Lancia 037 Rallye
ou les Renault 5 Turbo ne baissent pas les
bras, mais elles ne peuvent rien faire. Alors Peugeot
qui compte bien avec sa 205 relancer toute
l'entreprise en situation délicate, sera de la partie avec pour la route
les 205 GTI, chargées de se mettre
en tête du phénomène GTI,
et également de courir sur les rallyes avec les 205
Turbo 16. Ces dernières vont rapidement s'installer en tête des
rallyes devant les Audi. Ford vient avec une RS
200 qui étonnera les observateurs. Et Lancia ne restera pas inactif. Sous
la houlette de Cesare Fiorio (qui sera plus tard directeur de la Scuderia
Ferrari en Formule 1 notamment avec Alain Prost comme pilote en 1990), toute
l'équipe Lancia va élaborer la future Delta
S4, qui s'appelle encore la Lancia 038.
DESIGN
N'allez pas
chercher une similitude avec la Delta de série produite depuis 1979 ! A
part la calandre et les blocs optiques arrière, le reste est que du spécifique.
Et pour cause ! En fait, si la silhouette de la Delta S4 s'apparente à
la Delta de "monsieur et madame tout le monde", elle diffère
au niveau des proportions puisque la carrosserie habille un châssis tubulaire
hérité des Lancia 037. La parenté avec la série est
donc là, mais les cotes de la voitures diffèrent à l'avantage
de la S4 qui est plus large et longue que les Delta de route. De même, la
S4 n'est dotée que de deux portes et de deux places. Derrière, c'est
le moteur que vous embarquez en passager ! Les immenses prises d'air latérales
pour alimenter le moteur en air frais, semblent donner un sac à dos à
cette S4. Belle ? Difficile à dire, en revanche elle est bestiale à
n'en pas douter et une digne représentante de la période des Groupe
B homologuées route. Dans les aspects pratiques, on notera les capots avant
et arrière qui basculent intégralement afin de découvrir
totalement mécanique et train roulant, en prévision des interventions
rapides en course. Avec sa calandre Lancia et ses quatre phares, la Delta S4 annonce
fièrement la couleur d'autant plus avec sa teinte rouge du plus bel effet.
Les jantes de 16 pouces en alu offrent un voile presque plein. Les ouvrants semblent
avoir été découpés à la règle et à
l'équerre et participe un peu au charme de ce physique "à la
Frankenstein". A noter que le Cx est de 0,6, soit pire évidemment
que la Delta de série. Les observateurs avertis auront remarqué
la lame arrière en carbone sur le hayon destiné à créer
de la déportance.
A BORD DE LA DELTA S4
L'habitacle est étonnant car finalement très
bien fini et élégant. Rien à voir avec une Peugeot 205 T16
dont la finition était aussi bâclée que sur une 205 Junior.
Non là le conducteur a le droit à une planche de bord complète
et d'un dessin classique (identique à celui des Mercedes W124), et surtout
d'une sellerie complète en Alcantara (contreforts des portes, bas de la
planche de bord, sièges) avec une moquette épaisse. Lancia sait
recevoir ses acheteurs de voitures exclusives ! Surtout à ce niveau de
prix (environ 600 000 francs à l'époque, soit 100 000 euros), le
client n'était pas volé. L'équipement de série était
très complet en adoptant même la climatisation, un accessoire encore
peu répandu en 1983. Bon il faut avouer que sans climatisation, avec la
boîte de vitesses entre les passagers, la chaleur monte vite dans l'habitacle
! De petites touches d'exclusivités sont éparses ça et là
avec notamment un pédalier alu, des logo "Lancia" sur les passages
de portes. Sur le volant trois branches, on peut voir le logo "Abarth"
rappelant que le coeur de la S4 doit beaucoup à l'officine du sorcier italien.
MOTEUR
La lancia Delta S4 innove avant tout par son mode de suralimentation qui combine
un compresseur volumétrique "Volumex" Abarth et un turbocompresseur
KKK. Une technique qui présente l'immense intérêt d'avoir
de la souplesse et du couple dès les plus bas régimes et de les
conserver jusque dans les tours. Si aujourd'hui les turbocompresseurs basse pression
ont résolu en partie ce problème à bas régime, au
début des années 80 les turbocompresseurs qui offraient beaucoup
de puissance étaient brutaux et très creux dans les bas régimes.
Le mariage opéré donc sur la S4 sera réédité
plus tard pour la (grande) série avec la Volkswagen
Golf GT Mk5. Le projet du moteur démarre en 1983 sur la base de la
Lancia 037. L'ingénieur Giorgio Pianta, motoriste nouvellement recruté
chez Abarth, est l'artisan du mariage compresseur volumétrique et turbocompresseurs
sur un moteur de 037 hybride. L'ingénieur Claudio Lombardi travaille quant
à lui sur la synchronisation de la double suralimentation en avec un système
de by-pass. Le comportement de ce moteur-protype en est entièrement transfiguré
et autorise une plage d'utilisation de 1200 t/mn à 8400 t/mn ce qui tranchait
singulièrement avec la concurrence directe. les ingénieurs ont privilégié
un moteur tout alu et de course courte, plus apte à offrir les qualités
requises pour la compétition. Installé en position central arrière,
il est mis longitudinalement. La boîte de vitesses (une Hewland avec pignonnerie
ZF remplaçant celle de la version course et des synchroniseurs Borg-Warner)
est posée devant ce moteur, débordant donc dans l'habitacle entre
les sièges. Le petit 1800 cm3 quatre cylindres, ainsi "boosté"
offre donc des performances de choix sur les versions de course. Sur la version
route, le conducteur peut compter sur 250 ch à 6 750 tr/mn et 29,7 mkg
de couple à 4 500 tr/mn. Des valeurs qui pourraient paraître modestes
eut égard des valeurs affichées par des sportives actuelles (une
Audi S3 Mk2 affiche 265 ch) mais suffisent cependant
à offrir à cette version routière des performances de choix,
surtout pour 1983 : le 0 à 400 m est franchi en 14,2 secondes et le kilomètre
départ arrêté en 25,6 secondes. Les amateurs de statistiques
apprécieront cette performance. Ce qui est d'autant plus intéressant
dans le cas de la Delta S4 c'est sa souplesse mécanique dont est dépourvue
par exemple la 205 Turbo 16. Le mode de fonctionnement de l'ensemble compresseur/turbo
mérite d'être détaillé : l'air comprimé dans
le turbocompresseur est refroidi dans un premier échangeur air/air.
Il est ensuite comprimé une nouvelle fois dans le "Volumex" et
refroidi une seconde fois. Lorsque le moteur monte dans les tours, le compresseur
s'efface progressivement au profit du turbocompresseur. En véritable voiture
de course, la Delta S4 a adopté une lubrification moteur et boîte
à carter sec.
CHASSIS
La Lancia Delta S4 possède
un vrai châssis comme ceux des autos de course. Dotée d'un châssis
tubulaire en chrome-molybdène, elle reprend en fait l'architecture de la
Lancia 037 Rally. Dessus est greffé évidemment la mécanique
(il n'est donc pas porteur comme sur les monoplaces) mais aussi ses suspensions
à triangles superposés articulés sur rotules. Petite anecdote
technique, les suspensions arrière sont dotées de 4 amortisseurs.
Pour mémoire, la Ford RS 200 faisait plus encore avec quatre amortisseurs
sur chaque essieu ! La Lancia 037 Rally était une "classique"
propulsion et marquait ainsi le pas face à la concurrence affûtée.
Le constructeur italien est donc passé lui aussi à la transmission
intégrale avec une répartition asymétrique du couple entre
les essieux avant et arrière (30% et 70% respectivement) complétée
de trois différentiels dont le central visco-coupleur de type Fergusson.
A noter que pour les versions civiles, le différentiel avant n'était
pas autobloquant alors que sur les versions courses les trois différentiels
pouvaient être bloqués. Pour ralentir l'auto, Lancia a prévu
des disques ventilés de 300 mm de diamètre aux quatre roues pincées
par des étriers Brembo. Pas d'ABS au programme. La direction était
également conçue avec raffinement puisqu'elle était équipée
d'une assistance progressive en fonction de l'angle de braquage (à dépression).
La liaison au sol était alors assurée par des jantes alu de 16 pouces
chaussées de pneumatiques Pirelli PZero Corsa à bande de roulement
pratiquement lisse sur la moitié extérieure et à sculpture
sur la partie intérieure. Presque du semi-slick avant l'heure ! avec ses
1200 kilos, la Lancia Delta S4 limitait la casse et avec ses 250 ch son rapport
poids/puissance de 4,8 kg/ch la mettait dans la moyenne de ses rivales.
ACHETER
UNE LANCIA DELTA s4
Avant
d'en acheter une, il faudra déjà en trouver une ! Rares, certaines
ont parfois couru, il faut donc bien chercher pour trouver un exemplaire en parfait
état. Etablir une cote moyenne tient de la gageure vu le peu de transactions.
Disons entre 60 et 80 000 euros selon l'état. Mais il faut rester lucide,
acheter une Lancia Delta S4 ne peut s'adresser qu'à des collectionneurs
avisés et connaisseurs, disposant d'un solide budget pour l'entretien et
la maintenance. On imagine en effet la tête de votre concessionnaire Fiat-Lancia
local qui serait obligé de vous faire une vidange. Une opération
pas si aisée sur un moteur à carter sec d'ailleurs, à moins
de savoir.
CHRONOLOGIE
1984 : Dans le courant de l'année,
Lancia dévoile un croquis préfigurant la future Delta S4.
En
septembre, au salon de Paris, Lancia présente statiquement la nouvelle
Delta S4, prévue pour l'homologation en rallyes pour le groupe B.
1985 : Le 1er novembre, la Delta S4 est homologuée officiellement en groupe
B par les instances sportives.
Première sortie officielle en rallye
de la S4 au RAC en Grande Bretagne.
1986 : Le 1er novembre, la Delta
S4 est homologuée officiellement en groupe B par les instances sportives.
Première
sortie officielle en rallye de la S4 au RAC en Grande Bretagne.
1987 : Les derniers exemplaires invendus (140 !) trouveront finalement preneur, tandis
que Fiat travaille sur un prototype ECV basé sur la Delta S4.
1988
: Développement et présentation du prototype Fiat ECV 2 basé
au départ sur la Delta S4.
:: CONCLUSION
Dans la lignée
des groupe B, la Lancia Delta S4 apporte avec maestria son interprétation
du genre. Une gueule inimitable, des performances toujours actuelles, un palmarès
en rallyes reconnu et une histoire captivante lui laissent une place à
part dans le cur des amateurs de Rallyes. Mais attention, il faudra acheter
une S4 en connaissance de cause, n'est pas collector qui veut, notamment dans
son entretien et sa maintenance...
CE QU'ILS
EN ONT PENSE : "Malgré les réserves que nous avons
émises sur la réglementation en commençant, l'obligation
de construire 200 exemplaires de cette véritable génération
de voitures de course "routières" que sont les "groupes
B", est une aubaine pour les amateurs et fanatiques de tout poil. "Ainsi
avance le progrès" avait titré José Rosinski pour l'essai
de la Ford RS200. On serait tenté de reprendre la même "accroche"
pour cette Lancia. Que la version de série ait réellement ou non
besoin de deux compresseurs, n'est pas important. IL est hautement rassurant de
savoir qu'il existe encore des machines pour aventuriers des temps modernes et
chevalier du sport." Sport Auto - novembre 1985 - Lancia Delta S4
- Gilles Dupré. |