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ferruccio v12
Ferruccio Lamborghini, à côté du prototype de son tout nouveau moteur V12 conçu par l'ingénieur Bizzarrini (à gauche). A droite, un autre ingénieur de talent, Dallara.

giotto bizzarrini
Giotto Bizzarrini est resté toute sa vie un passionné de mécanique, contribuant à de multiples projets en tant que consultant.

350 gtv
Le V12 Bizzarrini apparaît au public en 1963. sous la robe gracieuse du concept 350 GTV.

espada

miura

diablo gtr v12 6.0

last murcielago
Le 5 novembre 2010, la 4099ème et dernière Murciélago (une LP670 SV) est sortie des chaînes de montage de l'usine lamborghini à Sant'Agata Bolognese. Avec elle s'éteignait la longue lignée de GT animées par le moteur V12 Bizzarrini...


v12 miura

TECHNIQUE : LE V12 BIZZARRINI DE LAMBORGHINI

Un passionné d’automobiles d’exception est souvent un éternel insatisfait. Ces deux traits de caractère allaient parfaitement à Ferrucio Lamborghini. Lassé par ses Ferrari, il n’hésita pas à dire à Enzo en personne ce qu’il pensait de ses voitures. Impatient et ne voulant pas attendre la sportive qui n’allait sans doute jamais arriver, ce « simple » vendeur de tracteurs avait un rêve fou que tout passionné a déjà fait au moins une fois dans sa vie : faire sa propre voiture. N’étant jamais mieux servi que par soi-même, il prit le taureau par les cornes…

Texte : Maxime JOLY - Photos : D.R.

A l’occasion de la fin de carrière de la Lamborghini Murcielago et de son remplacement par l'Aventador, nous vous proposons un dossier sur le V12 de légende Lamborghini-Bizzarrini. Un moteur exceptionnel qui marqua de son empreinte l’univers de la supercar…

En Italie, personne n’aurait osé contester la suprématie de Ferrari. Personne ? Pas tout à fait. C’était sans compter sur un industriel au garage bien garni au sein duquel se trouvaient plusieurs Ferrari. Seulement voilà, il leur manquait quelque chose à son goût et il alla jusqu’à Maranello expliquer son point de vue au maître des lieux. Celui-ci n’apprécia guère qu’un marchand de tracteurs lui donne des conseils en matière de matière sportive et envoya balader Lamborghini avec le tact qu’on lui connait… Enzo Ferrari commit alors deux erreurs. D’abord, celle de sous-estimer la détermination de Ferrucio Lamborghini et l’autre, d’être invivable dans son travail. Difficile voire impossible par conséquent pour ses employés de s’exprimer pleinement comme ils le désireraient. Résultat, en novembre 1961 l’ingénieur Giotto Bizzarrini (après être passé brièvement chez Alfa Romeo) et d’autres quittent Maranello. Celui à qui l’on doit en grande partie la 250 GTO forme, avec Carlo Chiti, forme ATS, qu’il quittera avant d’être embauché par F. Lamborghini. Il fut rapidement rejoint par Giampaolo Dallara et Paolo Stanzani qu’il avait déjà côtoyé dans l’enceinte du cheval cabré. Comme si E. Ferrari avait lui-même donné le bâton pour se faire battre…

UN V12 SINON RIEN !

C’est en 1963 qu’on entendit parler de Lamborghini pour autre chose que des tracteurs. En effet, le salon de Turin fut choisi pour y exposer le concept 350 GTV, réalisé par le carrossier local Sargiotto dont la plastique ne fit pas l’unanimité. Dommage, au vu de ce que le long capot avant dissimulait… Rien de moins qu’un V12, mécanique la plus noble qui soit selon l’homme d’affaires italien. Mais ce n’est pas un hasard non plus si l’on y trouvait un tel moteur. La référence à l’ennemi n’était pas le fruit du hasard et profitait même directement des travaux réalisés par Bizzarrini pour les V12 des F1 Ferrari. Lamborghini avait osé défier le surpuissant Cavallino Rampante… Mécanique pure composée d'aluminium et parfaitement équilibrée, il faisait presque passer pour obsolètes les V12 Ferrari avec ses quatre arbres à came en tête alimentés par six carburateurs double corps Weber. Avec ce choix judicieux et sa cylindrée de 3464 cm³, il se payait même le luxe de dépasser les 100 ch/l avec 370 chevaux mesurés sur le banc dynamométrique, à 9000 tr/mn. Ce régime de cheval, si vous me passez l’expression, était alors une véritable prouesse technique à l’époque ! La légende dit d'ailleurs que Lamborghini aurait promis à Bizzarrini de ne le payer que pour chaque cheval supplémentaire gagné face au V12 3.0 Ferrari... Bizzarrini visait la barre des 400 ch, qu'il était selon lui possible d'atteindre à 11000 tr/mn avec de plus gros carburateurs. Mais l'objectif était déjà atteint. Insuffisant toutefois pour éclipser les autres sportives présentées à Turin. Ferrucio avait raté son entrée et Enzo pouvait dormir sur ses deux oreilles. Jusqu’à…

LA REVOLUTION MIURA

Ne restant pas sur un échec, Lamborghini alla jusqu’au bout de son idée et commercialisa la 350 GT en 1964. Malgré une puissance plus civilisée et un travail de fiabilisation opéré par Dallarra, le V12 offre désormais 280 ch. Cette valeur n’avait encore rien d’anodine et distillait des performances en tout point remarquables. Le V12 adopte six carbus Weber 40DCOE à la place des carburateurs verticaux installés par Bizzarrini. Désireux d’améliorer son produit, la 400 GT 2+2 vit le jour deux années suivantes. Mais voilà, entre temps, quelque chose avait eu lieu, quelque chose dont personne n’avait pu soupçonner l’ampleur. Un châssis fut exposé, une nouvelle fois à Turin, en 65. Peu de spécialistes relevèrent même son existence. Au salon de Genève qui suivit, cette mise en bouche fut agrémentée d’une carrosserie dessinée par Marcello Gandini. Rien ne filtre encore sur ce qui se cache derrière et il faudra attendre une année pour en avoir la réponse. La réponse tiendra en un mot : Miura, nom emprunté à un élevage de taureaux espagnols, le taureau étant le signe distinctif de Ferrucio Lamborghini et le symbole de sa marque. Entièrement réalisé en alu, le moteur et ses organes ne revendiquent que 270 kg ! Le bloc est conçu pour ne faire qu’une pièce puisque même l’embrayage, la boîte et le différentiel y sont accolés. Cloisonné, il est lubrifié par un carter sec tandis que son aptitude aux hauts régimes vient en partie du volant moteur réduit, permis par les pignons d’entraînement de boîte et l’embrayage. La révolution majeure de la Miura, en dehors de son design avant-gardiste, était la position centrale arrière (en transversal et non plus en longitudinal) du V12 tandis que les arbres à came et les carburateurs étaient logés à la verticale. Là encore, le « mid-engine » semblait être un acte de provocation envers le Commandatore, quelque peu échaudé par la mésaventure de sa 250 LM, et dont la position sur le sujet resta assez floue. La 206 GT profita de cette architecture mais sous label Dino… D’abord de 350 chevaux avec des carburateurs triple corps Weber 40 DL 3Cl, la puissance ne cessa de progresser jusqu’à en atteindre 35 de plus. Le V12 renouait avec la brutalité d'un authentique moteur de course. Sur la Miura SV on décida de séparer la lubrification de la boîte de celle du moteur, pour la raison que le différentiel autobloquant ne pouvait fonctionner avec l'huile moteur. La carrière de la Miura fut stoppée précipitamment par la présentation précoce de celle qui allait lui succéder, la Countach…

UNE LONGEVITE RECORD

Entre temps, il y eut l’Espada, coupé 2+2, grand par les dimensions et par le succès commercial (à l’échelle de Lamborghini). L’Islero, lancée la même année, ne connut pas un destin similaire. S’en suivirent bien d’autres modèles à profiter du Bizzarrini, et ce pendant plusieurs décennies. Si on avait dit à Giotto Bizzarrini que son œuvre équiperait encore une Lamborghini en 2010, il ne l’aurait peut-être pas cru. Et pourtant, sur la Murcielago LP670-4 SV, la base est bien son V12, fort de 6.5 litres. Les réalésages furent nombreux et permettent de mieux cerner l’évolution qu’a connu le Bizzarrini. 3.5, 3.9, 4.8, 5.2, 5.7, 6.0, 6.2 et 6.5. Un autre fait marquant fut le passage au « QuattroValvole » (ou QV) qui correspond aux quatre soupapes par cylindre, évolution qui pris d’abord place dans la Countach, sur le 5167 cm³. Pour la petite histoire, ce 48 soupapes a aussi connu une autre destinée, plus étonnante celle-là, au travers du monumental LM002 que nous avons pu essayer récemment. Le fabuleux V12 lamborghini n'aura de cesse d'évoluer au gré des normes anti-pollution, adoptant au fil des ans même les technologies les plus innovantes comme le calage variable des arbres à cames à partir de la Murciélago. Malheureusement, les meilleures choses ont une fin. C’est le 15 novembre dernier que l’annonce d’un tout nouveau V12 fut officiellement faite. Audi, actuel propriétaire de « Lambo », ayant laissé les mains libres aux italiens pour la conception de ce nouveau bloc. Si la cylindrée reste proche avec 6498.5 cm³ au lieu de 6495.7, tout le reste change. Pour plus de détails, nous attendrons l’essai de l’Aventador. En souhaitant à ce nouveau V12 la même longévité que son aîné…

Œuvre majeure dans l’histoire de l’automobile sportive, le V12 Lamborghini est un chef d’œuvre de conception. Sans compromis, à l’image des véhicules qu’il a équipés, il représente presque à lui seul l’idée que l’on se fait de la supercar italienne. Il aura aussi été le symbole d’une lutte sans merci avec Ferrari, pour notre plus grand plaisir…

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