© L'AUTOMOBILE SPORTIVE (14/01/2010)
LE BON EST LA BRUTE
Tout ça dans la même
voiture ! La Porsche 911 Turbo est la voiture du Bad Boy par excellence.
Brutale, sauvage, elle défie les lois par un potentiel mécanique
insolent. Difficile à exploiter pleinement, cette GT de caractère
n'en suscite pas moins une fascination débordante chez tous
les Porschistes. Car lorsque dans la calme campagne, le turbo siffle
et le flat gronde au loin, la terre tremble...
Texte :
Sébastien DUPUIS
Photos : D.R.
La Porsche 911 Turbo de troisième génération,
964 Turbo, aussi connue sous le pseudonyme de "turbo 2" ou encore
"965" (bien que celui-ci ne soit apparu officieusement que pour différencier la
turbo 3.6) fût présentée à l'occasion du Salon de l'Automobile
de Genève 1990. Dans sa version initiale, le nouveau modèle
conserve la base mécanique de son ancêtre, la 930 3.3L,
mais rapidement Porsche va en augmenter la cylindrée, et
la puissance, jusqu'à obtenir la démentielle Turbo
S Leichtbau de 385 ch. Aujourd'hui encore, elle demeure un modèle
d'anthologie, dernière née de la famille des mono-turbo
dont la lignée avait commencé en 1975 avec la 930
3.0 L Turbo, à laquelle on avait attribué l'adjectif
évocateur de "brutale". Une caractéristique
qui s'est perpétuée avec le temps, pour le plus grand
bonheur des amateurs d'effet Turbo !
DESIGN
Extérieurement, la Porsche 911 type 964 est une évolution
profonde d'une base datant de 1963. Bien évidemment, la technologie
aidant, les ingénieurs ont réussi à transfigurer
une voiture qui conserve néanmoins une identité propre
et un caractère unique. Impossible de ne pas trouver à
la 964, le charme originel de la 911. Ses courbes magnifiquement
modernisées et lissées par les boucliers monoblocs
n'en donnent que plus de sensualité à son doux regard
de batracien et sa célèbre chute de reins. Le Cx de
0,32 sur la Carrera confirme les progrès accomplis en matière
d'aérodynamique mais la Porsche 964 Turbo, plus généreusement
profilée, n'en demeure pas moins un mauvais élève
dans sa catégorie avec son Cx de 0,36. Néanmoins,
comment résister à cet arrière large, relevé
par un imposant aileron, synonyme d'une puissance peu commune. L'ensemble
date pourtant de 1990 mais il est impossible de lui trouver la moindre
ride ! Véritable beauté fatale, la Turbo se distingue
aussi par des détails explicites. Tout d'abord, ses jantes
(en 3 parties et 18" de diamètre à partir de
la 3.6) remplissent parfaitement les arches de roues. A l'arrière,
le bouclier plus proéminent intègre une double sortie
d'échappement séparée. Les rétros fuselés
sont ceux de la Carrera Cup. A l'intérieur, entièrement
couvert de cuir, Porsche livre sur ce modèle un équipement
très complet, digne des plus luxueuses GT européennes.
Climatisation, double airbags, sièges électriques,
radio-CD 10 HP... l'essentiel, et plus encore, vous était
offert contre la somme rondelette de 707 000 FF en 1991... Par ailleurs,
pour les éternels insatisfaits, la liste des équipements
Porsche Exclusive permettait quant-à elle de personnaliser
chaque modèle par une combinaison unique de teintes et d'équipements.
En ce qui concerne l'ergonomie du poste de pilotage, pas de surprise,
tout ou presque est repris des précédentes 911 et
la qualité de fabrication n'a d'égal que la froideur
de l'habitacle. Après une trop éphémère
911 Turbo S Leichtbau, la Turbo 3.6 prend le relais en 1993. Visuellement,
elle se distingue de la 3.3 grâce à ses jantes de 18"
en 3 parties et visibles derrière, des étriers de
freins rouges. Légèrement moins haut, le rebord de
l'aileron permet de gagner un peu en vitesse de pointe. Juste en-dessous,
le logo spécifique "Turbo 3.6" achève la
signature de ce modèle. A l'Intérieur, seul le tachymètre
gradué jusqu'à 320 km/h permet de savoir à
bord de quelle version on se trouve, l'équipement étant
ici aussi, très complet.
MOTEUR
Bien que la première Porsche 964 Turbo conserve pour base
mécanique le moteur 3.3 litres de son aînée la 930,
elle adopte plusieurs modifications techniques faisant grimper la
puissance maxi à 320 ch à 5 750 tr/mn et atténuant
(un peu trop pour certains) le tempérament on/off de la ur-Turbo,
comprenez "l'originale". Sur ce nouveau moteur (désignation
usine M30/69), le couple maximal s'élève désormais à 450
Nm à 4500 tr/mn et il est délivré sur une plage
moins restreinte grâce à l'emploi d'un nouveau turbo
KKK soufflant à 0,7 bar, d'un nouvel échangeur air/air
et d'une nouvelle injection KE Jetronic. Le volant moteur bi-masse
permet de réduire les vibrations parasites et l'insonorisation
est considérablement augmentée. Enfin, cette évolution
moteur s'accompagne d'une dépollution renforcée, avec
un catalyseur trois voies. Au grand regret des amateurs de sportivité,
la turbo s'embourgeoise donc copieusement et encaisse un supplément
de poids de plus de 200 Kg sur la génération précédente.
Un handicap, heureusement compensé par l'augmentation de
puissance et la boîte de vitesses à 5 rapports type
G50.52. Certes, 300 ch, c'est une puissance aujourd'hui assez ordinaire.
Mais la 911 Turbo possède toujours sa carte maîtresse
: son moteur en porte à faux arrière, permettant un
transfert de masses optimal en phase d'accélération.
Résultat, cette grosse GT passe de 0 à 100 Km/h en 5 secondes
seulement, le 1000m 19" secondes plus tard et la vitesse maximale
s'en tient à 270 Km/h, la faute à un Cx plutôt
grassouillet (0,36). Dès 1992, les premières évolutions
moteur vont apparaître. Tout d'abord sous la forme d'un kit
moteur, portant la puissance à 355 ch et le couple à
47.1 mkg à 4500 tr/mn, puis par le biais d'une série
très spéciale étudiée à Weissach
: la "Turbo S Leichtbau" (voir encadré en bas).
Fortement allégée (1290 kg) ce collector dispose du
Flat 3.3 porté à 380 ch à 6000 tr/mn et 49.9
mkg à 4800 tr/mn. La vitesse maxi atteint 280 km/h et le
1000m DA est abattu en 23". Après cet interlude temporaire,
Porsche, toujours à l'écoute de ses clients, va redonner
à la 965 un second souffle et la bestialité tant appréciée
des 930. Pour cela, la Turbo adopte la base mécanique des
nouvelles Carrera RS, à savoir un nouveau bloc tout en aluminium.
Il est bien évidemment toujours refroidi par air. Sa cylindrée
de 3 600 cm3 est obtenue par un alésage de 100 mm et une
course de 76,4 mm et la suralimentation est toujours confiée
à un seul turbo KKK, soufflant cette fois à 0,85 bar.
Le taux de compression est ramené à 7,5:1. Identifié
sous le type M64/50, le moteur de la Turbo 3.6 délivre 520
Nm à 4 200 tr/mn. On trouve aussi au petit jeu des différences,
un boîtier d'injection spécifique Bosch Motronic et
un simple allumage. Les culasses conservent en revanche les inserts
en céramique pour réduire l'échauffement de
l'échappement et les cylindres sont usinés coniquement
pour pallier à la déformation lorsque le moteur atteint
sa température de fonctionnement. En ce qui concerne la boîte
de vitesses, Porsche reste fidèle à la célèbre
G50, mais d'un nouveau type (G50/52). En 1994, date d'arrêt
du modèle, Porsche commercialise de nouveau un kit moteur
"turbo S" pour la 3.6. La puissance est de 385 chevaux
et 52 Mkg à 5000 tr/mn.
CHASSIS
Bien entendu, la nouvelle Turbo adopte les trains roulants triangulés
de la Carrera génération 964, qui marque une rupture
avec 25 ans d'utilisation des barres de torsions. A l'avant, comme
à l'arrière, les combinés ressorts-amortisseurs
font leur apparition, pour un meilleur guidage. Avec la direction
assistée de série, la maniabilité devient exceptionnelle.
Précision du train avant et stabilité à haute
vitesse sont deux qualités que l'on peut attribuer à
la turbo. Autre qualité indéniable : son confort.
Quand on a goûté au bois d'une 964 RS 92, la Turbo paraît
être un véritable palace roulant ! Bien posée
au sol avec des voies larges de 149 mm à l'arrière,
la turbo cache à peine sous ses hanches de pin-up des jantes
en 17" montées de pneumatiques en 255/40 ZR 17 pour l'arrière.
A partir de 1992, la Turbo S Leichtbau va introduire de nouvelles
jantes Speedline de 18" en 3 parties avec des pneus de 225/40
à l'avant et 265/40 à l'arrière. Elles seront
reprises sur la Turbo 3.6L. De quoi arracher le bitume à
chaque fois que l'on envoie tous les watts ! Le nouveau différentiel
autobloquant qui limite à 20% en accélération
et à 100% en décélération permet d'envisager
plus sereinement la conduite sur sol gras... mais gare ! L'arrivée
peu progressive du couple et les réglages souples des suspensions
rendent cependant plus délicat le pilotage de la Turbo et
demandent une bonne connaissance des réactions de l'engin
sous peine de vous faire faire de belles toupies. Autre avantage
des grandes jantes de la 911 Turbo 3.6L, elles permettent à
Porsche de monter de grands freins à disques ventilés
percés de 322 mm de diamètre à l'avant et 299
mm pour l'arrière, pincés par de beaux étriers
rouges à 4 pistons. En clair, un dispositif digne de la réputation
qui est désormais celle de la firme en matière de
décélération. Ajoutez à cela un ABS
Bosch plutôt bien calibré et vous optenez une GT capable
de vous transporter dans un grand sentiment de confort et de sécurité,
jusqu'au circuit où vous pourrez vous défouler l'espace
de quelques heures sans arrière-pensée pour le retour.
Car une Porsche c'est bien cela : une voiture de sport aussi à
l'aise sur route que sur piste, procurant à chaque fois un
grand plaisir de conduite. Qu'elle soit 3.3 ou 3.6, la 965 turbo
ne déroge pas à cette règle et demeure un achat
passion, non dénué de raison. Notez que sur la Turbo
3.6, les suspensions ont été rabaissées de
20 mm.
LEICHTBAU
ET FLACHBAU
Rarissime Porsche 964 Turbo S Leichtbau ! Extérieurement cette
série limitée à 86 exemplaires
se distingue de la Turbo 3.3 par des prises d'air dans
les ailes arrières, ainsi qu'un aileron de capot plat
et peint, et des portes plus fines en matériau
composite. Fortement allégée (1290 kg),
la Leichtbau s'accompagne d'une évolution du
3.3L poussé à 380 ch et d'un châssis abaissé de 40 mm.
Les jantes Speedline de 18 pouces en 3 parties abritent
de plus gros freins avec des étriers rouges.
Toute aussi rare que la Leichtbau, la Turbo 3.6 "Flachbau"
de 1994 en reprend les éléments de carrosserie,
à l'exception de l'avant intégrant des
phares escamotables de 928 et de son aileron arrière
"Exclusive" à bords peints. Produite
à 76 exemplaires, elle fut livrée avec un kit
moteur de 385 ch.
ACHETER UNE
PORSCHE 911 (964/965) Turbo
Longtemps surcotée, par son statut de dernière monoturbo,
son coup de pied au cul plus excitant et sa plus grande rareté,
la 965 3.6 demeure la plus recherchée et les écarts
avec la version 3.3 sont assez significatifs. Faut-il pour autant
négliger la 3.3 dans une optique de collection ? Pas nécessairement.
Ce serait se priver inutilement des beaux exemplaires qu'il est encore possible
de dénicher en occasion, pour un budget à peine supérieur
à celui d'une Carrera 2, soit environ 30.000 euros. En revanche,
dans ce cas vous devrez vous attacher à trouver un modèle
avec un historique limpide, factures à l'appui, et accessoirement
carnet à jour. Fiable, la Porsche 911 turbo ne demande qu'un
entretien très scrupuleux en contrepartie de performances
exceptionnelles. Vidange tous les 5 à 10 000 km et réglage
régulier des culbuteurs. Attention également à
examiner scrupuleusement toute trace d'impact. L'excès d'optimisme
et la griserie du turbo ayant conduit plusieurs conducteurs mal
expérimentés vers le fossé... Concernant les
rares points faibles de la 911 Turbo, citons les vérins de
capot (maladie chronique) ainsi que le principal organe : le turbo.
Son remplacement est à prévoir aux alentours des 100
à 150 000 km, ce qui peut alourdir la facture de 2600 €,
hors pose. Si vous trouvez un modèle ayant déjà
subi cette opération, cela peut se montrer intéressant.
Côté détails, sachez que les jantes 3 parties
des 3.6 vieillissent assez mal (vernis, déformations) et
que leur prix est assez coquet : 1200 € ! Pour l'équipement,
selon la provenance il peut sensiblement varier. Les autos françaises
étant les mieux équipées de série, posez
la question au vendeur ou vérifiez la provenance auprès
de Porsche France avec le numéro de châssis. Disponible
quasi exclusivement en version coupé, la 911 Turbo a toutefois
été produite en de très rares versions cabriolet,
sur commande spéciale à l'usine. Malheureusement pour
nous, ces modèles sont presque tous partis sous le ciel de
Californie... Mais qu'importe, pour les amateurs de rareté,
il existe en Europe 86 Turbo S "Leichtbau", et 76 "Flachbau".
Véritables collectors, soigneusement conservés au
chaud, ces autos atteignent des prix très élevés.
Enfin, sachez que la consommation moyenne en carburant peut varier
du simple au double selon l'usage, de 15 à 30 L/100 km, ce
qui a tôt fait d'engloutir les 92 litres du réservoir.
En ces temps de pétrole cher cela peut peser dans la balance, mais la 911 turbo le vaut bien...
PRODUCTION PORSCHE 911 Turbo type 964
964 Turbo 3.3 (1990-1992) = 3660 exemplaires
964 Turbo S Leichtbau (1992) = 86 ex
964 Turbo 3.6 (1992-1994) = 1437 ex
964 Turbo 3.6 Flachbau (1993) = 76 ex
:: CONCLUSION
Belle à croquer, la Porsche 911 Turbo est une valeur sûre
du design et traverse les années en suscitant toujours le
même émoi. Qu'on se le dise, chaque Porsche 911 Turbo
est une 911 bien à part. Mi-GT, mi-bête sauvage, la
911 Turbo n'est pourtant pas une reine des circuits et une 964 RS,
moins puissante mais plus légère, lui donne une correction,
prouvant encore une fois, s'il en était besoin, que la puissance
ne fait pas tout sur une voiture de sport. Mais la turbo reste celle
que l'on craint en sortie de péage ou sur autoroute allemande,
celle qu'on respecte car on connaît sa force. Rouler au quotidien
avec une telle GT n'est pas de tout repos, mais finalement, quand
on s'en sort (avec tous ses points), on se dit que c'est bien bon
!
Tous nos remerciements à Thomas pour les photos et à Pedro pour sa superbe 911 Turbo 3.3 (il faudrait quand même remettre des clignotants oranges... :-P ) !
CHRONOLOGIE
1989 : La mythique 930 tire sa révérence, après
14 ans de bons et loyaux services au catalogue Porsche.
1990 : Dévoilée au public à Génève
en mars puis commercialisée en octobre 1990 au salon de Paris,
la nouvelle 911 Turbo type 964 remplace la 930.
1992 : Kit moteur disponible sous la désignation "Turbo
S" portant la puissance à 355 ch et le couple à
47.1 mkg. Dans le courant de l'année, Porsche commercialise
la 911 "Turbo S Leichtbau". Objet de collection, produit
à 86 exemplaires...
1993 : La cylindrée de la 911 turbo passe à 3.6 L et la puissance
atteint 360 ch.
1994 : En cours d'année, Porsche produit 76 exemplaires
de la 964 Flachbau et propose aux clients un kit moteur "Turbo
S", de 385 ch. Arrêt de production à l'été.
CE QU'ILS EN ONT PENSE :
"La 911 Carrera est si plaisante, si réussie, que la
présence d'une version turbo peut sembler contestable. En
effet, si les performances sont un peu relevées, la mélodie
du six cylindres est étouffée et l'attente de la mise
en route du turbo grève l'agrément.Bref, pour 268
400 F de plus, on ne prend pas davantage son pied avec une 911 Turbo
qu'avec une Carrera 2. A quoi bon ?"
L'ACTION AUTOMOBILE - Juin 1991 - PORSCHE 911 TURBO 3.3L.
"Ce n'est pas sur l'autoroute que
l'on peut juger un châssis, mais sur nos belles départementales,
là où la circulation est quasiment nulle et le svirages
acceuillants. Dans ces conditions, la 3.6 réagit comme une
vraie 911 : il faut la palcer sur les freins pour éviter
le sous-virage et accélérer progressivement pour ne
pas partir trop en dérive sous l'effet d'un couple envahissant.
Bien conduire une 911 n'a jamais été facile, et c'est
ce qui fait tout son charme."
RS MAGAZINE - Septembre 2003 - DOSSIER OCCASION PORSCHE 911 TURBO
3.6L. |